L’or des Ming, Fastes et beautés de la Chine impériale (14ème- 17ème siècles) au musée Guimet
Arnaud Bertrand, co-commissaire de l’exposition, nous en parle
18 septembre 2024 – 13 janvier 2025
Cet automne, le musée Guimet vous invite dans le faste de la cour impériale des Ming, à la découverte de l’art, aussi codifié que raffiné, de la parure féminine. Une exposition inédite qui révèle le luxe et la délicatesse de certaines des plus belles créations de l’orfèvrerie chinoise. Son esthétique foisonnante, à la fois singulière et baroque, se retrouvait à la Cité Interdite aussi bien que dans les demeures des élites fortunées.
Contemporaine de la Renaissance italienne, la dynastie des Ming renverse le pouvoir mongol des Yuan, restaurant les traditions chinoises et le confucianisme. Elle est aujourd’hui célèbre pour ses monuments (en particulier la Cité Interdite et la Grande muraille) et ses productions artistiques, au premier rang desquels la porcelaine (les célèbres bleu et blanc), le mobilier en bois naturel, ou encore la peinture à l’encre et la littérature.
Les objets d’or remontant à l’époque Ming sont aujourd’hui très rares. Compte tenu de la valeur du métal précieux dont ils sont faits, nombre d’entre eux ont par la suite été fondus pour permettre la fabrication de nouvelles pièces au goût du jour. Ainsi seuls de très rares objets sont parvenus jusqu’à nous, comme en témoignent les pièces de l’exposition, toutes issues de l’exceptionnelle collection du musée des Beaux-Arts du Qujiang.
Arnaud Bertrand, co-commissaire de l’exposition, conservateur chargé des collections coréennes et de la Chine ancienne du Musée national des arts asiatiques – Guimet nous en parle !
Rencontre le dimanche 3 novembre 2024 au musée Guimet avec le commissaire de l’exposition : S'inscrire
Sceptre ruyi (détail)
Dynastie Ming (1368-1644), règne de Wanli (1573-
1620), daté 1601
Filigrane d’or serti de jade, de rubis et de saphirs
L. 36,5 cm, l. 4,2 cm ; poids 476,8 g
Xi’an, musée des Beaux-Arts de Qujiang, XYB0109
© Peter Viem Kwok’s Dong Bo Zhai Collection
Vous êtes co-commissaire de deux expositions concomitantes cet automne, l’une dédiée aux chefs-d’œuvre d’orfèvrerie de l’époque Ming (1368-1644) , une deuxième consacrée à l’époque des Tang qui ouvrira prochainement en novembre, quelle est la genèse de ce projet ?
Ces deux expositions viennent célébrer le soixantième anniversaire des relations diplomatiques établies entre la France et la Chine. L’une rend hommage à la période Tang, âge d’or d’une Chine multiculturelle et cosmopolite où se déploie un très grand niveau de raffinement des arts et des lettres. Tandis qu’ici l’époque Ming racontée à travers l’exposition de ces parures féminines d’exception et vaisselle d’apparat offre un témoignage de la puissance économique de la Chine et du gout sophistiqué des élites.
La raison de ma participation à ce projet sur lequel j’ai travaillé en co-commissariat scientifique avec Hèlène Gascuel est simple : quoique en effet je couvre plutôt un périmètre qui concerne les périodes anciennes de la Chine (du néolithique à la fin des Liao), en tant que co-fondateur de l’Asia Collections Network – Europe, j’entretiens des relations privilégiées avec les commissaires et spécialistes de Slovénie et de Roumanie, où ces œuvres avaient été précédemment exposées. De plus, ma rencontre avec Monique Crick, sinologue, à l’occasion d’une conférence donnée lors la 6ème édition du Printemps Asiatique fut salutaire pour appréhender ces chefs-d’œuvre de l’époque Ming. Ce fut la première historienne de l’art à dresser une analyse scientifique fondatrice sur ces pièces d’orfèvrerie pour une exposition qui se tint sous son commissariat à la fondation Baur qu’elle dirigeait alors.
J’ai eu l’occasion de me rendre sur place, au musée des beaux-arts du Qujiang de Xi’an pour découvrir ces œuvres, et travailler sur une liste qui ferait sens pour illustrer notre propos scientifique. L’idée était de raconter une histoire, celle des mœurs et usages de la cour impériale tout en valorisant la beauté et la virtuosité technique des orfèvres de la période Ming. C’est un équilibre délicat à trouver, qui fut atteint par une collaboration exceptionnelle tant avec nos homologues du Qujiang et notre équipe de scénographes. L’exposition prend alors la forme de trois espaces : dans le narthex, le public est accueilli par un premier sas pédagogique, avec des vidéos présentant la dynastie des Ming, mais aussi les techniques d’or. La seconde partie du narthex se consacre à la vaisselle d’apparat, qui fait écho aux reproductions de peintures en arrière-plan qui en explique leur usage. Enfin, la rotonde est entièrement consacrée aux ornements féminins.
Qu'est-ce qui caractérise le travail de l'or de l’époque Ming ?
Si l’usage de l’or remonte en Chine aux périodes pré-impériales, ce métal précieux atteint un haut niveau de raffinement technique au cours de la période qui précède les Ming, celle des Yuan (Mongole). Ainsi que le décrivait Marco Polo, la résidence de Kubilai est éclatante de pierres précieuses et de trésors d’orfèvreries.
Lorsque l’empereur Hongwu (1368-1398) restaure le territoire, en dépit de sa volonté de rupture politique et culturelle avec les coutumes Mongoles (en retournant notamment à des modes vestimentaires des périodes Tang ou Song), ce dernier héritera néanmoins du caractère éminemment fastueux des usages de la cour impériale. Le travail de l’or atteint alors son paroxysme. Les vases et ornements faits de précieux métal que nous présentons sont réalisés dans une grande diversité de techniques (toutes attestées depuis plusieurs siècles en chine), mais qui se développent considérablement entre le 15ème et le 17ème siècle. C’est le cas en particulier du filigrane. On dit que 28 g d’or peuvent être allongés sur 80 km, en témoigne le travail de la boîte aux daims présentée dans la partie gauche du narthex. Il en va de même avec la granulation, l’incrustation ou encore le sertissage. Les Ming sont particulièrement friands de la couleur des gemmes, chaque couleur est associé à un élément, l’utilisation du rubis, du saphir ou de l’émeraude sont très recherchés par les artisans des Ming.
Épingles à cheveux à décor de lanterne
Dynastie Ming (1368-1644)
Filigrane d’or
L. 17,6-18,6 cm ; poids 23,8-25,2 g
Xi’an, musée des Beaux-Arts de Qujiang, XYB0105/1-2
© Peter Viem Kwok’s Dong Bo Zhai Collection
(Collected in Xi’an Qujiang Museum of Fine Arts)
Pouvez-vous en dire davantage sur votre collaboration avec L’école des Arts Joailliers soutenue par Van Cleef & Arpels ?
Dans l’espace pédagogique de la première partie de l’exposition, le public découvrira deux vidéos qui initieront le public aux différentes techniques de l’orfèvrerie d’or réalisées par l’Ecole des Arts Joalliers avec le soutien de Van Cleef & Arpels avant de découvrir l’ensemble des chefs-d’œuvre. Sous l’impulsion de notre présidente, Yannick Lintz, nous souhaitions collaborer avec les experts de l’Ecole pour que le propos scientifique soit de la plus haute qualité possible. En 2022, l’Ecole des Arts Joailliers réalisait la très belle exposition des ornements d’or de la collection Mengdiexuan. Je trouve le résultat magnifique, et cela nous le devons notamment à l’engagement de Edoardo Cecchin, réalisateur, graphiste, qui a piloté tout l’espace multimédia de l’exposition. Son savoir-faire, son talent de dessinateur associé au suivi scientifique de l’école des arts joailliers expliquent le résultat obtenu.
Les œuvres présentées sont-elles toutes de collections impériales ?
Lorsque l’on découvre ces œuvres pour la première fois, il serait tentant d’imaginer qu’elles appartiennent toutes à la famille des empereurs vivant au cœur de la Cité Interdite. Mais ce n’est pas exactement ce qui se passe, c’est ce dont nous parlons dès la première salle qui introduit la dynastie des Ming. Alors qu’ils sont premiers exportateurs de productions de porcelaines, laques, soieries, thé, notamment avec les explorations maritimes et les ambassades liés aux missions officielles de Zheng He, sous le règne de l’empereur Yong Le. Le tournant du 16e siècle marque un virage décisif : à la recherche de nouvelles voies commerciales pour atteindre l’Extrême-Orient, les navigateurs européens ouvrent des routes maritimes qui relient l’Europe à l’Asie et aux Amériques. Dans ce commerce devenu mondial, la Chine des Ming prend alors part à d’intenses échanges : autrefois empire purement agraire, elle devient un pays mercantile. De 1500 à 1800, le Mexique et le Pérou produisent environ 80 % de l’argent mondial, dont 30 % se retrouvent exportés en Chine. Les villes du Sud s’enrichissent, entrainant l’essor d’une classe nouvelle composée de marchands fortunés. Le désir de confort matériel touche progressivement toutes les couches de la société. Dans ce contexte d’essor urbain, les produits de luxe tels que les soieries façonnées ou brodées, l’orfèvrerie d’or et les bijoux, deviennent des signes de statut social et de richesse particulièrement convoités. Ils ne sont plus l’apanage de la seule aristocratie. La diffusion de ces parures, gage de richesse et de réussite sociale, connaît alors un développement sans précédent. Dans un contexte de prospérité économique et d’affaiblissement du pouvoir impérial, les élites fortunées n’ont de cesse d’imiter les modes et pratiques de l’aristocratie.
Je crois sincèrement dans la nécessité de contextualiser autant que possible ces œuvres, pour les replacer dans une situation sociale, économique que nous connaissons par ailleurs grâce aux nombreuses narrations publiées au cours de la période Ming. Nous avons besoin de mieux comprendre qui, comment, et pourquoi ces pièces ont été utilisées.
© Thibaut Chapotot
Vous évoquez à travers l’exposition le caractère cryptographique de ces objets. De quoi est-il plus exactement question ?
Chaque œuvre révèle par son iconographie un sens caché, associé à un jeu de son. La pauvreté homophonique du chinois combiné à un besoin constant de se protéger des maux terrestres tel que la perte de rang social explique l’omniprésence de motifs végétaux, animaliers ou même religieux sur les parures et vases. Observez-les bien et vous retrouverez ces motifs, plus ou moins discrets, qui évoquent vœux de bon augure. Le cerf « lü 鹿 » désigne par homophonie les émoluments, symbole de richesse mais également de longévité. La chauve-souris « fu » 蝠, est synonyme de bonheur, le crabe « hexie 河蟹» de réussite. Le caractère « longévité » (shou) était lui aussi un motif particulièrement apprécié. L’intérieur d’une paire de bracelets tient par exemple la formule fu shou kang ning 福寿康宁 (souhaits de bonheur et de longévité).
Une œuvre a-t-elle particulièrement retenu votre attention ?
Un tout petit objet, qui ne paie pas de mine, mais que je trouve si révélateur de la société Ming. Je pense à une épingle à cheveux, dont la tige représente un bâton de moine pèlerin. Son extrémité haute représente un shunya mudra. Au geste religieux s’ajoute le crapaud chan, assis sur la feuille de nénuphar qui se dit lian, formant l’homophone de chanlian signifiant « avoir un poste l’un après l’autre » et exprime le désir d’arriver au sommet de la hiérarchie. Voilà donc comment nous pouvons révéler dans l’intimité d’une parure, une signification que seule sa propriétaire pouvait comprendre, tant la pièce est petite.
En savoir plus :
Musée national des arts asiatiques - Guimet
6, place d'Iéna
75116 Paris
Ouvert tous les jours sauf le mardi
De 10h à 18h