Yannick Lintz, présidente du Musée national des arts asiatiques - Guimet
Docteure en histoire et conservatrice du patrimoine, Yannick Lintz est depuis le 1er novembre dernier à la tête du musée national des arts asiatiques - Guimet, après avoir dirigé depuis 2013 le département des Arts de l’Islam du musée du Louvre. Elle a notamment porté avec succès l’opération “Arts de l’Islam : un passé pour un présent”, représentant 18 expositions simultanées d’art islamique en France. Récemment terminée, l’exposition « Splendeurs des oasis d'Ouzbékistan » en collaboration avec l’archéologue Rocco Rante, commissaire scientifique, fut d’un immense succès auprès d’un public curieux de découvrir une civilisation peu connue en France.
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Thibaut Chapotot / musée national des arts asiatiques - Guimet
Yannick Lintz a bien voulu se prêter au jeu de l’interview pour le Printemps Asiatique. C’est l’occasion d’en apprendre plus sur son parcours, ses goûts artistiques et ses projets pour le musée national des arts asiatiques - Guimet. La politique muséale qu’elle entend mener est ambitieuse : cultiver l’excellence et la renommée mondiale de l’institution dans son domaine tout en œuvrant à rendre son parcours permanent et sa programmation culturelle plus immersifs, afin de s’adresser à toute la société.
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Dans le cadre d’une table ronde organisée par le Printemps Asiatique, Yannick Lintz interviendra aux côtés de professionnels et spécialistes du monde de la culture pour analyser les nouveaux défis du XXIe siècle qui touchent les musées d’arts extra-occidentaux.
Rendez-vous à la Cité de l’architecture et du patrimoine le lundi 12 juin à 18h30 pour cette rencontre inédite !
Depuis le 1er novembre 2022 vous êtes présidente du musée national des arts asiatiques - Guimet, quelle est votre ambition avec ce nouveau poste ?
Le musée Guimet est le plus grand musée d’art asiatique en Europe, il faut donc qu’il puisse s’accorder avec les enjeux internationaux et ceux de la jeunesse en dépassant sa seule fonction de présenter des collections. En outre, j’ai pour ambition de faire de ce musée un outil culturel et éducatif permettant de créer une passerelle entre les civilisations européennes et asiatiques. Afin d’atteindre cet objectif, il faudra développer des programmations vivantes, populaires, qui accroissent l’attractivité du musée sur une échelle aussi bien nationale qu’internationale.
Pourriez-vous décrire votre parcours ? Comment est née cette vocation pour l’art et pour les civilisations orientales ?
Mon parcours est atypique. J’ai commencé par des études de Lettres classiques, et c’est à partir de la Grèce que j’ai commencé à projeter mon regard vers l’Orient, en me rendant plusieurs fois au Proche-Orient lors de mes études (Syrie, Jordanie, Liban…). Ma thèse de doctorat sous la direction de Pierre Briant, a porté sur les collections des Perses Achéménides conservées dans les musées de Turquie, dressant un catalogue raisonné de 1700 œuvres conservées dans plus d’une trentaine de musées en Anatolie. J’ai ensuite travaillé au Louvre pendant vingt années comme cheffe du service des dépôts antiques avant de devenir, entre 2013 et 2022, directrice du département des Arts de l’Islam du Louvre. En parallèle, car je prends toujours beaucoup de plaisir à la transmission et à l’échange avec les étudiants, j’ai enseigné l’histoire de l’art à la Sorbonne Paris I.
A mes étudiants, je disais souvent que je n'avais jamais fait d’histoire de l’art, et pourtant je suis devenue conservatrice de musée et maintenant présidente d’un musée national français. Au-delà de la formation, qu’elle soit classique ou plus atypique, je considère que le parcours relève souvent du hasard des rencontres, des modèles que l’on a envie d’imiter, des enseignants qui nous marquent… Je trouve cela particulièrement stimulant et réjouissant de savoir que ce n’était pas écrit pour moi que je devienne présidente du musée Guimet.
Qu’est ce qui fait la particularité du musée Guimet selon vous ?
En premier lieu le thème autour duquel les collections se sont formées. Comme le musée Cernuschi, les musées des arts asiatiques de Nice et de Toulon, le musée Asiatica de Biarritz, ou le musée des arts de l’Asie et de l’Egypte Georges Labit de Toulouse, le musée Guimet est entièrement spécialisée sur l’Asie, avec la plus importante collection nationale. Ce constat a évidemment quelque chose de stimulant aujourd’hui quand on voit l’importance que représente l’Asie auprès des jeunes générations.
Ensuite, en comparaison avec le musée du Louvre, Guimet est une institution muséale à taille humaine. Il est essentiel qu'elle puisse garder cette valeur, car selon moi le modèle de la “consommation culturelle” suivi par de nombreux musées depuis trente ans arrive un peu à bout de souffle. A mon sens, il faut réinventer un modèle plus humain, plus intime : qu’on ne parle plus de l’exposition qu’on a vue, mais plutôt de l’exposition qu’on a vécue. “Médecines d’Asie”, ouverte le 17 mai dernier, est l’exemple à suivre dans les années qui viennent, c'est-à-dire une exposition qui prend en compte l’expérience sensorielle, sensitive, visuelle, tactile, auditive du visiteur. Autrement dit, le public vient s’immerger au cœur des cultures asiatiques, en éveillant l’ensemble de ses sens.
© Musée national des arts asiatiques – Guimet, Paris / photo Vincent Leroux 2021
Quel est le principal défi du musée Guimet ?
Comme tous les musées, nous voulons attirer un public large. Guimet est encore trop réservé aux amateurs d’arts asiatiques, c’est dommage. Il faut l’ouvrir aux jeunes, à ceux qui ne viennent jamais dans les musées, par exemple à la population d’origine asiatique, vivant en France, qui n’a jamais foulé les salles de Guimet. Sans oublier bien entendu les touristes asiatiques qui viennent à Paris, qui ne savent pas forcément qu’ils trouveront ici un peu de leur maison, ou alors d’un port d’entrée vers l’Europe. Voilà ce qu’il reste à accomplir : ouvrir en grand les portes de Guimet à la société.
Est-ce qu’il y a une exposition ou un thème que vous aimeriez mettre en avant au musée Guimet ?
Les expositions à venir devront servir de fil conducteur entre le passé et le présent. Il y a un véritable engouement pour les cultures asiatiques auprès d’un public large, et plus particulièrement des jeunes générations notamment à propos des pop cultures asiatiques (mangas, manhwas), l’univers des séries ou encore celui des jeux vidéo…Il suffit de connaître le scénario, les récits historiques pour faire le lien avec les arts d’Asie. Quelques exemples : les mangas prennent racines dans les estampes japonaises du XVIIIe et surtout du XIXe siècle. L’avant dernier Zelda sur Switch s’est inspiré de la période Jomon pour construire son scénario. Et vous avez des millions de personnes qui y ont joué, sans se rendre compte qu’ils s’immergeaient dans une période antique du Japon.
C’est au musée Guimet que nous pouvons mettre en perspective ces liens constants entre les arts du passé et la culture vivante; montrer qu’il est possible de tracer les liens entre les héros, la mode, les images qui servent de support d’inspiration pour les créations contemporaines. C’est de cet héritage artistique inconscient que germent les idées actuelles, et c’est à partir des œuvres que tout commence.
En outre, mieux comprendre le présent en découvrant le passé et réciproquement est une valeur forte qui me semble être au cœur des préoccupations actuelles. Au musée Guimet, on trouvera un héritage commun à de nombreux peuples qui nous permet, en remontant aux origines, de suivre la formation de notre culture contemporaine foncièrement hybride. Il me paraît essentiel, si ce n’est primordial, de souligner que l’art n’est finalement qu’ un dialogue entre deux cultures. Ce qui m’amène à un autre point capital: la culture se doit de rapprocher les peuples, de dépasser les confrontations militaires et politiques entre l’Occident et l’Orient. L’art est le témoin d’échanges, d’influences, d’inspirations incessantes entre nos civilisations. Combien de fois l’Europe a été fascinée par l’art chinois, a voulu imiter les porcelaines « bleu et blanc ». L’arrivée de la perspective dans le paysage des estampes japonaises est la conséquence de ces artistes japonais qui ont trouvé de nouvelles inspirations en découvrant la peinture européenne. De tels exemples sont innombrables, et nous ramènent loin, très loin, dans le temps.
Avez-vous une œuvre favorite au musée Guimet ?
J’en ai plusieurs. Dans le département de la Chine archéologique, j’ai un petit faible pour l’éléphant en bronze (l’éléphant Camondo), un énorme vase à alcool de la dynastie des Shang (2e moitié du second millénaire avant notre ère).
Mon regard tend plus vers les sculptures indiennes du rez-de-chaussée ou encore les portraits Angkoriens, que pour les arts décoratifs. Mais ce sont des questions d’affinités, mes goûts propres n'influencent pas, cela va sans dire, notre politique muséale.
Elephant Zun Camondo © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier
Le musée Guimet s’intéresse à des civilisations parfois méconnues du grand public, comment crée-t-on justement un lien entre les œuvres et un public?
Par ce mot de “médiation” que l’on utilise en France depuis 30 ans. Un terme qui résume mais ne ne suggère pas assez cet enjeu essentiel du musée comme lieu d’expériences, de rencontres, d’émotions, d’apprentissage, d’épanouissement. Tout ce dont on a tous besoin plus que jamais dans le monde qui est le nôtre aujourd'hui. Il y a différentes manières de créer ces relations avec le grand public. Prenons l’exemple d’un enseignant qui fait toujours le pari sur un collectif d’étudiants qui se souviendront peut-être des années plus tard (pas tous bien sûr) de votre cours et se diront: « jamais je n’ai oublié ce moment ».
Ce sont des grandes leçons de modestie puisqu’il faut tout mettre en œuvre pour créer ces moments inoubliables et c’est la chance qu’on a quand on est dans un musée.
Il faut savoir trouver les bons leviers de mise en scène, d’accompagnement humain, d’ambiances, de discours pour créer un moment inoubliable chez celui ou celle qui entrera au musée Guimet. On essaye de déclencher des émotions chez un public de tout âge (des plus jeunes aux plus âgés), pour qu’il ressorte du musée grandi de sa visite, de son expérience. En tant que professionnels de la culture, on essaye de créer ce moment magique. C’est une chance de pouvoir être en mesure de le faire !
Votre dernier coup de cœur artistique ?
J’en ai eu un récemment à l’Opéra-Comique en allant voir et entendre la nouvelle création de Joël Pommerat dont je suis une fan absolue. Le spectacle s’intitule L'Inondation. Avant de fouler le sol des musées, mon rêve était justement de devenir metteur en scène pour le théâtre ou encore l’opéra, deux arts que j’affectionne tout particulièrement.
Des projets en cours ?
Quand on préside, il faut impulser, il faut décider mais ce sont les équipes qui vous entourent qui doivent prendre le relais de votre vision et ensuite être force de propositions. Ma volonté principale est de développer une politique vivante d’événements et d’expositions avec l’équipe du musée. Nous définissons la programmation des expositions dans les années qui viennent et nous construisons le programme des événements à l’auditorium pour créer ainsi des saisons culturelles authentiques et marquantes (cinémas, concerts, spectacles…). Il faut clairement rajeunir l’image de ce musée trop connu comme un musée d’initiés.
Mon rôle est aussi de trouver des financements pour que cette stratégie puisse se concrétiser dans les années à venir. Il faut également accompagner quelques projets d’enrichissement de la collection par des chefs d’œuvres. C’est toute la diversité de ce que produit un musée, et il me revient d’être le chef d’orchestre en trouvant les mécènes et philanthropes qui nous permettront de le faire.
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