Galerie Espace 4
Dédiée exclusivement à l'Art du Japon et en particulier l'Art du Samouraï, la Galerie Espace 4 a ouvert ses portes en 1996 avant que Laurence Souksi et Frantz Fray y prennent la direction en 2005. Les domaines de compétence et les collections s'élargissent alors à l'Extrême-Orient dans son ensemble et, notamment, au domaine très spécifique des tabatières chinoises.
Pourriez-vous décrire votre parcours ? Pourquoi cette spécialisation dans les arts asiatiques ?
Laurence Souksi : J’ai un parcours assez classique. J’ai d’abord fait l’école ICART pendant trois ans avant une Capacité en Droit puis, décidée d’être commissaire-priseur, je me suis inscrite en licence d’histoire de l’art à Paris IV. J’ai eu l’occasion de faire un stage chez Eileen Lesouef, chargée de missions au musée Guimet, et qui avait à l’époque une galerie d’art d’Extrême-Orient au Louvre des Antiquaires. Spécialisée dans la porcelaine d’époque “transition”, entre la dynastie Ming et Qing, Eileen Lesouef réalisait de nombreux salons en Angleterre où je l’ai accompagnée. Préférant rester dans l’action, j’ai arrêté ma licence pour travailler avec elle dans les années 90. Nous avons mis fin à notre collaboration après trois ans, et ensuite j’ai travaillé avec Pierrette Di-Donna qui m’a fait découvrir les tabatières chinoises, sa spécialité. Un an après, j’ai commencé dans une autre galerie, celle de Bertrand de Lavergne, lui aussi spécialisé dans les tabatières. Nous avons travaillé ensemble pendant dix ans au Louvre des Antiquaires jusque dans les années 2000. Frantz Fray lui était antiquaire-chineur ; on s’est rencontré car il vendait souvent les objets qu’il trouvait à Bertrand de Lavergne. En 2002, trois ans après avoir quitté la galerie Bertrand de Lavergne, nous avons décidé d’ouvrir notre propre galerie, à l’époque rue Condorcet dans le 9e arrondissement. En mai 2005, nous nous sommes installés dans la galerie Espace 4 qui avait été ouverte en 1996 par quatre spécialistes en art japonais. Après leur départ, nous sommes devenus propriétaires de la galerie. Cela fait maintenant plus de 18 ans.
Frantz Fray : Quant à moi, j’ai fait l'École nationale supérieure des arts appliqués et métiers d’art, ce qui n’a rien à voir avec les antiquités. J’ai fait un BTS de plasticien volume, c'est-à-dire de sculpteur. Cette formation m’a donné une expertise sur la matière des objets mais pas pour le métier d’antiquaire en lui-même. Ensuite, je suis devenu professeur dans un centre de formation d’apprentis et je me suis intéressé dans un premier temps aux estampes japonaises. Pendant mon temps libre, je chinais des estampes mais l’étroitesse de l’offre des estampes m’a conduit à élargir mon intérêt aux objets asiatiques dans leur ensemble.
Tabatière en verre overlay rouge sur fond opaque blanc sculptée en très léger relief de carpes, lotus, libellules et du sceau “Xiaomei”.
Chine, Ecole de Yangzhou, exécuté par Wang Suo dans les années 1820-1830
Xiaomei est un des sceaux du peintre de Yangzhou, Wang Suo (1794-1877). Seuls trois autres flacons de cet artiste ont été jusqu’ici répertoriés.
H. 6,6 cm
J’avais fait connaissance avec un marchand de mon village suisse à qui je donnais des objets en dépôt et ça marchait bien ; dans les années 80, tout se vendait. Drouot a été une vraie révélation et je fréquente toujours assidûment avec plaisir et intérêt. A l’époque, je n’avais aucune connaissance de l’art asiatique, j’ai tout appris sur le tas en chinant, en lisant des livres et en discutant avec des marchands. En 1993, j’ai sauté le pas en quittant mon travail de professeur et me suis lancé dans le commerce d’antiquités. A l’époque, je chinais un peu partout dans Paris. J’achetais à des marchands, souvent non spécialisés, et je revendais à des marchands spécialisés. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance des anciens membres de cette galerie puis rencontré Laurence (Souksi) en me rendant chez Bertrand de Lavergne. Lorsqu’elle a quitté la galerie de ce dernier, je lui ai proposé de travailler ensemble. Nous avons donc ouvert une première galerie avant de rejoindre la galerie Espace 4. Nous sommes une SEP (société en participation), c'est -à -dire que l’on partage les frais de la galerie mais nous avons un chiffre d'affaires indépendant l’un de l’autre. Cela fait vingt ans que l’on est associés de cette manière et que ça fonctionne très bien !
Pouvez vous décrire votre galerie ?
Frantz Fray : Nous vendons de tout dans différents domaines : nous sommes une des rares galerie d’Extrême-Orient à Paris qui subsiste en vendant à la fois des estampes japonaises, de la peinture, des bronzes, de la laque, de l’art samouraï, des tabatières chinoises ou encore de l’art vietnamien. En termes d’exposition, nous avons vraiment un département de tabatières, la spécialité de Laurence, puis une partie art samouraï car c’est la spécialité de la galerie que j’ai moi-même reprise.
Laurence Souksi : Nous sommes ouverts à tout type d’objets d’art ancien, sauf en ce qui concerne l'archéologie, et nous n’avons pas d'œuvres d’art contemporain : ce n’est pas le même esprit ni la même clientèle.
Quels sont les partenariats de la galerie ?
Frantz Fray : Nous avons donc commencé notre collaboration en galerie mais également en tant qu’experts auprès de Pierre Bergé & associés pendant à peu près trois ans et, depuis 2020, pour la maison Ader. Comme l’activité de la galerie s’est un peu ralentie depuis la Covid-19, garder cette activité nous maintient “dans le coup”.
Laurence Souksi : Cela nous permet de continuer à apprendre. Et dans le cadre de notre partenariat avec la maison Ader, nous effectuons deux ventes d’art asiatique par an, généralement une en juin et l’autre en décembre, après avoir trié les objets au préalable et constitué une sélection cohérente de lots.
Je fais également partie de la International Chinese Snuff Bottle Society, une association américaine de collectionneurs et marchands de tabatières chinoises. Cette association est vraiment le moteur actif sur le marché des tabatières chinoises.
Depuis plus de 50 ans, elle organise en octobre une convention annuelle chaque fois dans une ville différente dont les musées possèdent des tabatières chinoises dans leur collection. Cette année, c’est la Philadelphie. Environ 320 adhérents s’y retrouvent, marchands et collectionneurs, amateurs, spécialistes de musées, mais aussi néophytes. Chacun vient avec ses tabatières que l’on expose pendant une semaine et nous avons la possibilité de les vendre à une centaine de collectionneurs du monde entier. Cet événement annuel est important pour moi pour échanger avec mes confrères et partager ma passion pour les tabatières chinoises.
Tabatière en porcelaine moulée émaillée en rouge à l’imitation de la laque de Pékin et rehaussée de dorure. Elle est ornée sur un fond stylisé des huit emblèmes bouddhiques.
Bouchon d’origine en porcelaine
Marque Qianlong en dorure
Chine, Impériale, fours de Jingdezhen, 1770-1799
H. 6,2 cm
Namban shokendai
Epoque Momoyama
H. 31 cm
Lutrin pliable en namban en bois laqué, décoré de feuilles et de
fleurs en incrustations de nacre, et de branchages en hiramaki-e.
Un objet phare ?
Laurence Souksi : Je ne peux pas choisir une seule tabatière, je les aime toutes. C’est un objet qu’on n’envisage pas comme une pièce unique parce que chacune fait partie d’un contexte. Elles sont toutes si différentes par leur matériau et par leur sujet, si bien qu’il m’est impossible d’en choisir une. Et d’ailleurs ça n’a aucun sens d’acheter une seule tabatière. Certes la tabatière est un objet utilitaire qui peut se suffire “à l’unité”, mais elles “fonctionnent” mieux dans un ensemble.
Frantz Fray : Pour moi je dirai que c’est la belle armure de daimyo que l’on voit à l’entrée de la galerie, elle est assez impressionnante.
En termes de rareté, ce qui me plait le plus ce sont des objets comme un coquillage kakemon présent dans notre galerie ou une porcelaine japonaise du XVIIe siècle avec un piétement en bronze Louis XV. C’est un objet que j’adore et qui reste dans un placard. Il y a aussi cet objet Namban datant du XVIe siècle, réalisé pour une clientèle portugaise catholique qui est assez rare et que j’aime beaucoup.
Une exposition ou un salon qui vous a marqué ?
Frantz Fray : Le salon TEFAF à Maastricht. Dans ma carrière, c’est l'événement le plus impressionnant. Les premières fois que l’on s’y rend, c’est vraiment incroyable.
Laurence Souksi : La dernière fois que je me suis rendue à Londres, c’était dans la cadre de l’association anglaise de collectionneurs de tabatières. Nous sommes allés voir, avec Colin Sheaf comme interlocuteur, les tabatières de la Percival David Collection au sein du British Museum. Ils ont aménagé une grande salle au deuxième étage pour les exposer et la qualité des objets est renversante. Cette collection “rince l’oeil” car nous voyons tellement de faux au quotidien que cela nous fait comme une remise à niveau lorsqu’on se trouve devant de telles pièces.
Frantz Fray : Je m’étais rendu jeune à la Percival David Collection avant que celle-ci n’intègre le British Museum. C’était à l’époque un tout petit musée. Je suis d’accord avec Laurence : cette collection m’avait extrêmement impressionné et j’ai d’ailleurs gardé les catalogues en noir et blanc ! Lorsque je m’y suis rendu avec ma mère, je ne connaissais encore rien à l’art asiatique. Mais c’est la preuve qu’une grande collection impressionne même les néophytes.
Votre musée favori ?
Frantz Fray : J’adore le Victoria & Albert Museum. Les collections y sont très riches et le parcours pédagogique est très bien fait. Je trouve que les musées anglais sont vraiment bien organisés et la démarche intellectuelle est moins élitiste qu’en France.
Laurence Souksi : Je suis d’accord. Au rez-de-chaussée du Victoria & Albert Museum, il y a toute une pièce où sont exposées à la fois des vrais et des faux et l’on peut même toucher les porcelaines. C’est vraiment une belle expérience.
J’apprécie beaucoup par ailleurs la Fondation Baur à Genève. C’est un hôtel particulier qui abrite des collections constituées par un seul homme, Alfred Baur. Collectionneur “empirique”, il était notamment aidé dans ses choix par des marchands japonais. Si Baur était très éclectique dans ses choix en termes d’époque et de matériaux, la collection de tabatières qu’il a réunie est absolument magnifique. Elle n’est hélas exposée qu’en petite partie mais est visible sur rendez-vous.
Un ouvrage de référence ?
Frantz Fray : Pour moi, c’est Ko-Ji Hô-Ten de Weber qui date de 1923. C’est un peu la bible de l’art japonais, une sorte d’encyclopédie avec tout un tas de légendes autour des objets et de leur pratique. L’édition est assez ancienne mais c’est vraiment une valeur sûre.
Laurence Souksi : Selon moi, ce sont les sept tomes de Hugh Moss sur les tabatières chinoises. Hugh Moss, marchand anglais qui a commencé très jeune dans l’art asiatique, a notamment effectué les toutes premières recherches sur les tabatières chinoises dans les années 60. Sept tomes en 14 volumes en tout, qui classent les tabatières par matière (jade, porcelaine, verre…).
Votre coup de cœur artistique ?
Laurence Souksi : Je suis passionnée par la peinture bretonne. Je viens d’un petit village de Bretagne, Audierne, qui a été très souvent peint, notamment par de grands artistes comme Albert Marquet. J’ai maintenant une assez grande collection. J’ai aussi une collection d’épingles à chapeaux anglaises et françaises des années 1900.
Frantz Fray : C’est plus compliqué pour moi de répondre à cette question car je collectionne un peu de tout. Dans l’art japonais, je garde beaucoup d’objets, notamment les masques de théâtre nō. En dehors de ce domaine, une des premières œuvres qui m’a fait vibrer quand j’étais jeune, c’est la peinture hollandaise avec des peintres tels que Jérôme Bosch et Pieter Brueghel.
Vos projets futurs ?
Frantz Fray : Je fais ce métier depuis trente ans et j’arrive au bout, je prends ma retraite de marchand l’année prochaine. La marchandise s’épuise, la galerie vieillit et nos clients aussi. Mais dans ce métier c’est difficile d’arrêter car c’est une passion. Aussi vais-je garder mon activité d’expertise qui me permet de garder un lien avec les œuvres.
Laurence Souksi : Moi je vais continuer avec mes tabatières chinoises, c’est ce que j’aime le plus. Je compte poursuivre mon activité avec tous les collectionneurs de l’association américaine International Chinese Snuff Bottle Society ; c’est ce qui me motive.
En savoir plus :
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Hugh Moss, Victor Graham et Ka Bo Tsang, A Treasury of Chinese Snuff Bottles – The Mary and George Bloch Collection, Hong Kong: Herald International. 1998
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Victor-Frédéric Weber, Ko-ji Hô-ten : dictionnaire à l'usage des amateurs et collectionneurs d'objets d'art japonais et chinois, Paris, 1923
9 rue Mazarine
75006 Paris
01.75.00.54.62
Ouvert du mardi au vendredi de 14h à 18h