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Brigitte Nicolas,
directrice du musée de la Compagnie des Indes de Lorient

Conservatrice en chef du patrimoine, Brigitte Nicolas revient sur son parcours, ses coups de cœur artistiques et nous fait partager son projet pour le printemps 2024 : l’or du Prince de Conty sauvé du naufrage d’une frégate de la Compagnie des Indes au XVIIIe siècle.

Pour commencer, pourriez-vous nous présenter le musée de la Compagnie des Indes de Lorient que vous dirigez actuellement ?

Unique en France, le musée de la Compagnie des Indes, musée d’art et d’histoire de la Ville de Lorient, classé parmi les Musées de France, est situé dans la citadelle de Port-Louis, forteresse militaire surplombant la mer, initiée par les Espagnols à la fin du XVIe siècle et plusieurs fois remaniée au cours des deux siècles suivants. Sa thématique, unique en France, retrace l’histoire des grandes compagnies de commerce maritime des XVIIe et XVIIIe siècles et leur lien originel avec la Ville de Lorient. Modèles de vaisseaux, dioramas illustrant la construction navale, la vie à bord, les comptoirs de Pondichéry et Canton mais aussi la vie des esclaves dans une plantation de café à Bourbon ; objets de marine, peintures, objets extra-européens, porcelaines et laques de Chine, textiles de l’Inde, etc., témoignent, pour le meilleur et le pire, de l’impact commercial, politique, social et culturel de l’épopée maritime des Européens à travers le monde au temps des premières globalisations. Très actif, malgré sa petite taille, le musée prête souvent ses collections à travers le monde et réalise ses propres expositions temporaires au sein même de la collection permanente. Les activités de prêts et d’expositions entraînent régulièrement la modification et la requalification de la scénographie du parcours permanent faisant du musée de la Compagnie des Indes un musée très vivant. Une active politique d’enrichissement des collections menée depuis une quinzaine d’années grâce aux dépôts et aux achats d’œuvres amplifie encore ce phénomène. Les grands musées nationaux, tels que le musée national des arts asiatiques-Guimet, le musée du Quai Branly Jacques-Chirac, le domaine du château de Versailles sont, en ce sens, de précieux partenaires. Le budget d’acquisition, financé par la Ville de Lorient et très activement soutenu par l’État, la Région et le Département, permet de faire entrer tous les ans dans les collections des nouvelles œuvres, souvent très belles, parfois très rares, pour certaines précieuses et même luxueuses, porteuses d’une riche histoire de métissages et surtout peu connues du grand public. En quelques années, elles ont conforté le musée dans son identité forte et unique.

Quelle est votre ambition pour le musée ? Quels sont les principaux défis rencontrés par le musée ?

 

Mon ambition, portée depuis vingt années, a été de donner à ce petit musée, au départ privé de moyens, les conditions de son développement en matière de conservation, de restauration et d’acquisition d’œuvres ainsi qu’en matière d’actions culturelles et d’offres de médiation. J’ai très rapidement refondé le parcours permanent du musée pour le mettre en conformité avec l’historiographie contemporaine. Les défis sont surtout liés à la problématique des petits espaces dans lesquels le musée se trouve contraint. L’écrin de la citadelle est sublime mais ne permet pas au musée de s’étendre. Il convient donc de trouver des solutions pour poursuivre la requalification du parcours afin de mieux sensibiliser le public aux phénomènes complexes qui accompagnent les compagnies des Indes : traite, esclavage, colonisation mais aussi dureté de la vie à bord, flux des capitaux, des marchandises et des êtres humains autour de la planète, en un mot : globalisation.

 

 

Pourriez-vous décrire votre parcours ?

 

Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Rennes, j’ai commencé ma carrière de conservatrice au Département du Morbihan où j’ai occupé le poste de conservatrice du patrimoine mobilier et de conservatrice des antiquités et objets d’art pendant 12 années avant d’être nommée directrice de la culture. Ce dernier poste s’est révélé trop éloigné des collections pour me plaire, j’ai donc candidaté au poste que j’occupe aujourd’hui depuis plus de 20 ans ! Je n’aurais jamais pensé rester aussi longtemps à la tête du musée de la Compagnie des Indes mais le chantier du musée est tel qu’il m’accapare pleinement depuis des années. Il m’apporte de nombreuses satisfactions au premier rang desquelles figure la politique d’enrichissement des collections qui me passionne littéralement. Développer une collection, même avec des moyens modestes, est une gageure et une aventure sans cesse renouvelée et qui se montre extrêmement gratifiante. J’aime la rencontre avec les collectionneurs, les antiquaires, l’ambiance des salles des ventes, l’excitation des procédures de préemption, savoureuse adrénaline. J’aime par-dessus tout faire des recherches sur les œuvres, les documenter, les comprendre. L’ultime récompense est d’observer les visiteurs dans le musée contempler et s’approprier les œuvres, et en cela je suis souvent récompensée.

Avez-vous un objet favori dans le musée ? Un lien particulier avec une des œuvres ? Pourriez-vous nous la présenter ?

 

J’aime vraiment beaucoup d’œuvres dans le musée, particulièrement celles que j’ai pu faire entrer dans les collections et encore plus précisément celles qui se sont faites désirer longtemps. Mais je dis souvent en plaisantant que mon œuvre préférée est celle-ci et que je partirai avec elle une fois la retraite venue :

 

Fontaine à café montée

Fontaine : Japon, Arita, 1680-1700

Porcelaine à décor d’oxyde de cobalt sous la glaçure

Monture : Europe du Nord, Provinces-Unies (?), vers 1700

Bronze fondu, découpé, ciselé, gravé, doré

Achat à la galerie François Hayem, Paris

Acquisition réalisée avec le soutien du FRAM et du Conseil départemental du Morbihan

Ville de Lorient - Musée de la Compagnie des Indes - 2015.2.1

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Cet objet a été créé au Japon sur le site porcelainier d’Arita. Commandé dans un cadre privé, il a ensuite été augmenté d’une monture de bronze doré en Europe. Celle-ci sublime le bleu et blanc de la porcelaine et l’enrichit de sa préciosité. Une pièce semblablement montée est conservée dans la collection d’Auguste Le Fort (1670-1733), grand électeur de Saxe, roi de Pologne, qui se disait atteint de la maladie de porcelaine, tant sa passion pour ces objets le dévorait. Ces objets exceptionnels, datant de l’époque où la consommation de café reste encore élitaire, dans les années 1680 à 1700, ont trouvé leur place sur les plus riches tables d’Europe. Technologie asiatique (la porcelaine), forme et monture de l’Europe septentrionale font de ces porcelaines de commande hybridées, destinées à un usage de convivialité, développées en Orient à partir d’une plante originaire d’Afrique, de merveilleux objets-monde. Je vois tout cela dans cet objet et c’est pourquoi, outre sa beauté intrinsèque, il me plaît beaucoup.

 

Une exposition qui vous a particulièrement plu, que vous souhaiteriez recommander ?

 

J’ai récemment revisité le musée du Nouveau-Monde à la Rochelle qui m’a beaucoup plu. Les collections sont belles et diverses, le propos est intelligent et sans détour, le lieu est très beau. Je le recommande particulièrement, tout comme le muséum d’histoire naturelle de cette même ville.

 

L’ouvrage qui vous inspire ?

 

Il y en a tellement… ! Mais l’un des catalogues que j’aime le plus lire et feuilleter est celui de l’exposition Encounters, The meeting of Asia and Europe, 1500-1800 du Victoria and Albert Museum.

 

Et l’un des livres que j’apprécie le plus par son approche historiographique est celui de Romain Bertrand, L’Histoire à parts égales.

 

Pourrions-nous en savoir plus sur vos projets (éventuelles publications) et/ou le thème que vous souhaitez traiter (exposition, publication…) ?

 

Je travaille avec mon équipe sur un projet de nouvelle scénographie (printemps 2024) au sein du musée dédiée à l’histoire du Prince de Conty. Après s’être rendue en Chine en 1746, cette frégate de la Compagnie des Indes fit naufrage au sud de Belle-Île-en-Mer, entraînant la mort d’une très grande partie de son équipage. La Compagnie de commerce organisa des opérations de sauvetage de la cargaison parmi lesquelles figuraient des lingots d’or. L’épave, découverte en 1974, fit l’objet de fouilles archéologiques autorisées par le DRASSM mais elles furent entachées d’illégalité. Le DRASSM mena à son tour une opération d’expertise sur le site en 1985. L’histoire de ce navire revêt une grande importance pour le musée de la Compagnie des Indes puisqu’il est, à ce jour, le seul navire de la compagnie de commerce ayant fait l’objet de fouilles subaquatiques en France métropolitaine. Parallèlement, j’aspire à publier les œuvres entrées dans les collections du musée, particulièrement celles qui relèvent des commandes européennes en Asie dans le domaine des textiles, de la porcelaine, des laques, de la marqueterie, etc. Mais pour cela, il faudrait un peu de temps…ce qui me manque beaucoup !

 

 

 

Pour en savoir plus :

 

  • Musée de la Compagnie des Indes de Lorient : https://musee.lorient.bzh

  • Collectif, Anna JACKSON & Amin JAFFER, Encounters, The meeting of Asia and Europe, 1500-1800, catalogue d’exposition. Victoria and Albert Museum publications, London, 2004.

  • Romain BERTRAND, L’Histoire à parts égales. Le Seuil, 2011.

  • Musée du Nouveau Monde de La Rochelle : https://museedunouveaumonde.larochelle.fr

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